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Augmenter la production nationale est possible

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 par Thomas Lalime

 Ce ne sont pas les tarifs qui feront augmenter la production nationale, mais cet objectif demeure réalisable. Il suffit que les autorités y mettent les bouchées doubles en encadrant au mieux les producteurs locaux. L’imposition des tarifs devrait couronner un ensemble de mesures d’accompagnement de la production nationale préalablement envisagées.
Dans ses interventions à la presse la semaine dernière, le ministre de l’Économie et des Finances, Wilson Laleau, a fait état d’un ensemble de mesures prévues dans le budget 2014 qui devraient encourager la production nationale. Cependant, tout porte à croire que les prix réagiront plus vite à la hausse des tarifs sur les 594 produits concernés que la production nationale répondra à la baisse des tarifs sur certains intrants. À court terme, la vie chère risque alors de s’aggraver avant même de constater, à moyen et/ou à long terme, une éventuelle hausse de la production nationale. Et cette hausse probable des prix à court terme représente une menace pour les retombées positives du budget à long terme. 
Le succès des mesures tarifaires dépendra en grande partie de la mise en oeuvre efficace des politiques d’accompagnement de la production nationale. Et c’est cette efficacité qui fait défaut au sein des ministères. Ce n’est pas du jour au lendemain que le ministère de l’Agriculture, qui se prononce d’ailleurs très peu sur le budget 2013-2014, deviendra efficient dans l’encadrement des producteurs locaux. Il ne l’a jamais été au cours des vingt dernières années. Si le MEF annonce la création de microparcs agricoles, il faudra voir le temps que cela prendra pour être opérationnel. Les prix, eux,  n’attendront pas.
Une politique d’accompagnement efficace devrait commencer par prendre connaissance de la capacité des producteurs locaux et de leurs besoins afin de déterminer la meilleure façon de leur venir en aide. Et comme la chute des tarifs en 1988, la hausse de cette année est brutale. En dehors des aspects positifs de cette mesure, cette brutalité peut nuire à son efficacité.
Une visite au local des Petits Frères et Petites Soeurs de l’Incarnation (PFI-PSI) à Petite-Place-Cazeau, dirigé par le frère Francklin Armand, donne une idée de l’étendue des politiques d’accompagnement à mettre en oeuvre par l’État haïtien. L’expérience des PFI-PSI est enrichissante à bien des égards. En tout premier lieu, elle démontre que le monde rural, même dans sa frange la plus démunie, peut sortir de sa léthargie. Pandiassou est passé d’un espace sauvage, dans une paysannerie délaissée où désolation,  tristesse,  désarroi, pénurie,  famine et  soif se côtoyaient, à un centre attractif recevant touristes, journalistes nationaux et étrangers et chercheurs intéressés au développement économique et social. 
« Le centième de carreau de terre ne valait pas plus que 2 000 gourdes au début des années 80 à Pandiassou; aujourd’hui, son prix est libellé en euros, nous fait remarquer l’ancien directeur de la RadioTélévision nationale d’Haïti (RTNH) », Pradel Henriquez, un proche collaborateur de la toute première heure de frère Armand. L’oeuvre incorpore un vaste ensemble de projets allant de la construction d’écoles, d’hôpitaux à l’agro-industrie, notamment en termes de transformation des produits agricoles.
Les écoles, particulièrement les centres de formation professionnelle, s’écartent de la vision traditionnelle haïtienne pour se concentrer sur l’objectif de création d’une capacité locale de transformation sociale. Une école d’entrepreneuriat agricole est prévue en ce sens. Les hôpitaux, de leur côté, aident à contribuer à maintenir la main-d’oeuvre en bonne santé, capable de participer efficacement aux efforts de développement local.  
Du point de vue de la production agricole et animale, le plan le plus médiatisé des PFI-PSI reste celui des lacs collinaires. Outre la production de poisson, ces lacs servent également à irriguer les terres arides, à mieux gérer les bassins versants et limiter les impacts négatifs des inondations. Selon les données fournies par l’agronome Wilson Célestin, coordonnateur technique du Programme national des lacs collinaires (PNLC), ces derniers produisent 562 tonnes (562 000 kg) de poisson par an tandis que les rivières intérieures fournissent autour d’un millier de tonnes; la pêche maritime contribue à la consommation locale à auteur de 15 000 tonnes et le pays importe 25 000 tonnes.
Nous importons donc aujourd’hui 60 % de la consommation de poisson, s’il faut croire l’agronome Célestin. Rappelons que les poissons frais ou réfrigérés, à l’exception des filets de poisson et autre chair de poisson, d’autres produits de la même catégorie comme les truites, les thons, les harengs, les morues, les sardines, les saumons du Pacifique…, ont vu leurs droits de douane passés de 0 à 10 %. Donc, si rien n’est fait pour augmenter l’offre locale, théoriquement, les prix du poisson augmenteront d’au moins 10 %.
Un déficit difficile à combler

L’agronome Célestin doute de notre capacité à satisfaire toute la demande locale tout en demeurant optimiste par rapport à la possibilité d’augmenter l’offre locale. De 114 lacs collinaires, on peut passer jusqu’à 1 000, soit une augmentation de la production de poisson à près de 5 000 tonnes. Ce qui représenterait une source de revenu assez importante puisqu’aujourd’hui, les 562 tonnes rapportent environ 185 millions de gourdes. Cela permettrait aussi de combler notre déficit en termes de consommation de poisson par habitant. La consommation moyenne nationale se situe autour de 4 kg par habitant alors que celle mondiale s’élève à 7 kg ; la Jamaïque se détache du lot avec une moyenne de 16 kg, devant les Etats-Unis (11 kg), selon les données citées par l’agronome Célestin.
Le PNLC vise à recapitaliser le monde rural, augmenter la production nationale, élargir les champs d’opportunités des familles paysannes haïtiennes. Dans un bilan des réalisations datant de mars 2008 à septembre 2012 dont le journal a obtenu copie, le programme a créé plus de 23 000 emplois et a amélioré les conditions de vie des populations concernées, notamment dans le Nord-Ouest, le Plateau central, le Sud-Est et l’Artibonite avec un impact positif sur l’environnement et une mise à la disposition de la population rurale de l’eau potable. On trouve une usine de traitement d’eau à Hinche, à Thomassique, à Thomonde et à Petite-Place-Cazeau. La première dispose d’une capacité de 5 000 litres/heure  et les autres d’une capacité de 1 000 litres/heure.
Parallèlement au PNLC, les PFI-PSI s’adonnent également aux cultures maraîchères. Ils produisent aujourd’hui 73 000 tonnes de légumes qui demeurent une activité très rentable rapportant près de 5,6 milliards de gourdes. Cette production peut être multipliée au moins par 100 si les ressources financières sont mises à la disposition de l’équipe, à en croire l’agronome Célestin.
Les PFI-PSI s’intéressent aussi à l’élevage. Au foyer de l’Incarnation, à Petite-Place-Cazeau, le visiteur peut apprécier un bassin abritant des canards et une porcherie à quelques mètres. On n’y voit pas assez de volailles et de porcs, mais on constate un vrai potentiel qui peut être exploité dans le cadre d’une politique publique d’accompagnement de la production agricole nationale. Soulignons que, depuis 2008, le gouvernement haïtien a décidé de soutenir le programme des lacs collinaires.
Les PFI-PSI détiennent une expertise dans le regroupement des paysans en association qui pourrait faciliter le développement de la paysannerie. Car, très souvent, ce secteur n’arrive pas à s’organiser structurellement pour imposer sa vision sur la scène politique.
L’expérience des PFI-PSI démontre comment il est possible de changer radicalement les conditions de vie de nos paysans. Et ce n’est pas par la distribution de petites enveloppes de 200, 400 et 800 gourdes que l’on y parviendra, mais plutôt par le biais d’un programme inclusif et patient de renforcement des capacités paysannes. Un partenariat entre l’État et les organisations paysannes pourrait donner des résultats probants. Ces organisations participeraient à l’identification des potentialités, à la conception, à la planification et à l’exécution des programmes et projets.
Dans quelle mesure les organisations comme PFI-PSI, Mouvman Paysan Papay (MPP) et d’autres organisations paysannes, Organisation pour le développement de la Vallée de l’Artibonite (ODVA) ont été consultées dans la conception des mesures d’accompagnement de la production agricole ? Comment peuvent-elles jouer pleinement leur rôle dans l’augmentation de la production nationale ?  
Aujourd’hui encore, les paysans utilisent généralement la houe et la machette comme outils de production. L’engrais constitue un intrant désirable mais souvent inaccessible. Tout comme les tracteurs. Les agronomes ajoutent très peu à l’expertise rurale. Le système d’irrigation demeure toujours à l’état embryonnaire. On ne parle plus de réforme agraire ces jours-ci. Autant de problèmes qui affectent la productivité agricole et qui doivent faire l’objet de politiques publiques d’accompagnement de la production agricole. Imposer des tarifs sans penser à résoudre ces problèmes l’augmentera difficilement.

                                           
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