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Haïti/R.D. : La République dominicaine n’aime pas les Noirs

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« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir »
Aimé Césaire

Lisane André

Lisane André
NDLR.- Nous avons retrouvé cet excellent papier de notre consœur et amie Lisane André qui date du 1er Avril 2000 : « La République dominicaine n’aime pas les Noirs ». Cette problématique est plus que jamais d’actualité.
 Il est plus qu’impératif que les élites haïtiennes se penchent là-dessus et organisent régulièrement  des forums en ce sens, afin de rappeler aux élites dominicaines l’existence de cet État-nation qu’est Haïti et que les étudiants haïtiens évoluant en république voisine cessent de marcher la tête basse et abandonnent ce profil bas qui sous-entend leur culpabilité d’être noir –haïtien. L’Université haïtienne devrait organiser des travaux en ce sens, dans l’objectif de trouver la solution à cet épineux problème.
A notre rubrique « Pages Retrouvées », nous soumettons à votre appréciation ce topo de la journaliste haïtienne senior Lisane ANDRE. Elle va nous raconter l’histoire complexe de Rosa Cabrera… ensuite on verra…

En République dominicaine, les Noirs sont régulièrement expulsés de l’autre côté de la frontière, en Haïti. Qu’importe qu’ils soient sans papiers ou même citoyens dominicains. Des milliers d’Haïtiens dits illégaux sont ainsi renvoyés chez eux. Mais qui fera la récolte de canne ?

Esthéticienne, Rosa Cabrera tient un petit studio à Santo Domingo, en République dominicaine. Le 17 décembre dernier, elle sort dans la rue en quête de produits de beauté. Rosa n’ira pas bien loin car des soldats l’ont déjà repérée. Pour eux, la couleur de sa peau fait d’elle une Haïtienne, de surcroît, une Haïtienne illégale en territoire dominicain. Car, lorsque les soldats lui réclament sa cedula (la carte d’identité dominicaine), elle ne l’a pas. Elle l’a oubliée à la maison. Sans autres explications, ils l’expulsent en Haïti, pays avec lequel  la République dominicaine partage la même île.

« C’est ainsi que je me suis retrouvée en Haïti », explique-t-elle. Sans attaches familiales, sans argent, Rosa en est réduite pendant une semaine à mendier son pain ainsi que l’accès à une chambre pour passer la nuit. Née d’une mère haïtienne et d’un père dominicain, Mme Cabrera est pourtant de nationalité dominicaine comme le constate le consulat dominicain en Haïti à la réception des papiers d’identité expédiés par sa famille. Elle a un fils dans les rangs de l’armée dominicaine et une fille étudiante en art dentaire à l’université.

Rosa Cabrera n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement dominicain expulse ses propres citoyens. Tout individu au teint foncé est a priori un Haïtien sans papiers. Ainsi, lors d’une vague d’expulsions en novembre 1999, des soldats ont-ils reconduit à la frontière Eddy Martinez, son épouse Mary et ses fillettes Olga, 10 ans, et Teresa, 8 ans. « Quelle faute ai-je donc commise en naissant noir de peau ? », s’interrogeait l’agriculteur dominicain en relatant, au quotidien Listin Diario, les moments pénibles vécus par la famille lorsque des inspecteurs d’immigration, accompagnés de militaires, ont fait irruption dans sa demeure à la recherche d’illégaux haïtiens.

Les radios haïtiennes rapportent régulièrement des cas d’expulsions de citoyens dominicains, adultes et enfants, n’ayant jamais mis les pieds en Haïti.

Des enfants privés de leurs droits.

En République dominicaine, plus de 2000 enfants sont privés d’instruction parce qu’on ne leur reconnaît pas leur nationalité. L’association féministe dominicaine MUDHA s’est battue pour obtenir des autorités l’octroi d’actes de naissance à ces descendants d’Haïtiens, nés au pays. La Pastorale catholique des jeunes a aussi exhorté le Parlement à agir en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant qui stipule que « tout enfant a droit à un nom et à une nationalité ».

La présidente de la chambre législative dominicaine, Rafaela Alburquerque, a rejeté toutes ces requêtes. « Je suis Dominicaine de souche. Dominicains en Dominicanie. Haïtiens en Haïti ! », a-t-elle affirmé, signifiant ainsi son refus de tout projet de loi accordant la nationalité dominicaine à ces jeunes comme le prévoit la Constitution du pays.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés (Hcr) se dit préoccupé par l’absence de mécanismes juridiques et institutionnels destinés à protéger ces enfants. « La population haïtienne sans papiers est importante et le non-enregistrement des naissances, ou l’impossibilité de les enregistrer soit dans la République dominicaine soit à Haïti, a créé un problème d’apatridie de fait chez les enfants », peut-on lire dans un document du Hcr, daté de septembre 1999.

En République dominicaine, certains réagissent à cette politique. « Ce n’est pas parce qu’un individu a la peau noire que les autorités doivent le considérer comme Haïtien et le jeter à la frontière », déclare le recteur de l’Université catholique Madre y Maestra, l’évêque Agripino Collado. Parmi les expulsés, des étudiants haïtiens régulièrement inscrits à son université.

En République dominicaine où la main-d’œuvre haïtienne est importante dans les secteurs de la construction ainsi que de la culture du café et de la canne à sucre, les simples travailleurs sont aussi visés. À tel point que les industriels de la canne à sucre ont fait une sortie publique, à la mi-mars. Avec le manque de main-d’œuvre, ils se demandent comment ils pourront faire face à la nouvelle récolte.

Les chauffeurs de bus qui font la navette entre les deux pays sont excédés par l’attitude des soldats dominicains. Fin février, le dirigeant de la Fédération des syndicats de transport du Nord-Est, Juan Jimenez, dénonçait ce qu’il appelle « la persécution de l’armée » qui arrête les chauffeurs dominicains quand ils découvrent des Haïtiens à bord de leur véhicule.

Malgré les contestations, les expulsions se poursuivent. Dans les premiers jours de janvier 2000, l’armée dominicaine renvoyaient les Haïtiens dits illégaux au rythme de 500 à 600 par jour, selon les chiffres publiés par l’Office national de la migration d’Haïti.

Silence diplomatique.

Pour l’instant, l’État haïtien n’a pas condamné les agissements de son voisin. En début d’année, le gouvernement a même remplacé son chargé d’affaires, Guy Lamothe, en poste à Saint-Domingue depuis trois ans. M. Lamothe était sorti de sa réserve diplomatique lorsqu’un ressortissant haïtien a été abattu par un soldat dominicain non loin de la frontière. Depuis, il a été nommé à Mexico. Pour le prédécesseur de M. Lamothe, cette mutation est une « sanction ». « Ce n’est pas un bon signal envoyé par Haïti aux autorités dominicaines », ajoute-t-il.

La question migratoire est un problème récurrent entre les deux pays. Des milliers de cas d’expulsions d’Haïtiens et de Dominicains noirs ont été enregistrés au cours des dernières années, avec une pointe en 1991. En 1937, près de 20 000 Haïtiens avaient été tués de l’aveu des Dominicains eux-mêmes. Les travailleurs des usines sucrières, main d’œuvre précieuse aujourd’hui encore, furent cependant épargnés.

 

Aujourd’hui, le contexte a quelque peu changé. Depuis moins de quatre ans, la République dominicaine et Haïti ont commencé à renforcer leurs relations diplomatiques et commerciales. Mais qu’adviendra-t-il si la question des rapatriements violents et racistes est sans cesse éludée ?

 
                                              
 
 
 

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