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Vendredi 9 novembre 1979, droit et liberté bafoués et assassinés (3eme partie et fin)

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Michel J. Martelly on Twitter: "Mes voeux de bon anniversaire à Me Gerard  Gourgue, membre de la Commission Consultative, qui fête ses 89 ans.  http://t.co/ynkJjogYuY"
 
Me. Gerard Gourgue
 
(Troisième partie) Par Jean-Marie Beaudouin … Vendredi 9 novembre 1979, aux alentours de 7 hres du soir, heure locale: les panélistes étaient bien présents, notamment professeur Gourgue qui eut l’insigne honneur de présider la conférence sur les droits de l’homme en Haïti, sous le gouvernement du président Jean-Claude Duvalier. Au moment où le juriste Gourgue s’apprêtait à prendre la parole, il y eut des voix lugubres et vociférantes qui criaient comme des bêtes sauvages: A BAS CONFERENCE! VIVE DUVALIER! VIVE PRESIDENT JEAN-CLAUDE A VIE!
 
Cette vilaine scène se répéta trois fois de suite et jeta un grand émoi dans la salle. Ce qui était compréhensible pour l’assistance composée essentiellement de jeunes qui rêvent d’un monde meilleur, dont l’avenir leur appartient dans le cadre d’une lutte de libération nationale. De paisibles citoyens, épris de justice sociale et de démocratie, étaient donc venus pour se faire une opinion avisée sur le concept des droits humains et, par là, déterminer la quantité de liberté qu’un peuple peut conquérir sous un régime démocratique. Et les conférenciers, dans leur démarche courageuse, étaient unanimes à reconnaître la nécessité historique de répondre à ce besoin particulier de la jeunesse militante de l’époque.
 
Par contre, au regard des notions de citoyenneté et de civilité, il nous a paru anormal et inconcevable que des énergumènes fassent irruption dans la salle, pour semer le trouble. Mais c’est peu dire en ce qui a trait à la tournure dangereuse que va prendre l’évènement dans les minutes qui suivirent cette scandaleuse intervention des tontons macoutes, dépêchés dare-dare sur les lieux. Il y a, cependant, un paradoxe dans l’attitude des miliciens-macoutes qu’il nous faut relever: si les dignitaires du régime, notamment le chef de l’État lui-même, sont dépourvus de tout sentiment humain et de toute morale, comment, en retour, peut-on demander à leurs ouailles d’en faire preuve? Selon le vieil adage: « On reconnaît l’arbre à ses fruits », n’est-ce pas!
 
L’attitude comportementale des dirigeants duvaliéristes ne diffère point des hommes de main et des escadrons de la mort, attachés au service du régime. On aurait donc tort de tenter d’établir une quelconque différence: ils sont intimement liés et associés. La milice, elle-même – Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) – est une émanation spirituelle de François Duvalier: la bête et son image. Ce dernier, président de la République, régna de septembre 1957 à avril 1971 avant d’imposer son fils, Jean-Claude Duvalier, à la présidence au vu et au su de toute la suite duvaliériste dont on dit posséder une grande formation intellectuelle, mais on a oublié d’ajouter: pour servir la cause du régime dans la parfaite indignité.
 
Le bonhomme n’avait, à l’époque, que 19 ans quand son intransigeant père le précipita à la plus haute magistrature de l’État. Non émancipé, immaturité, impréparation sont pour l’essentiel des traits caractéristiques qui habitent le nouveau président et son cabinet ministériel, avec lequel il avait arrêté toutes les décisions d’État à l’effet des crimes de sang, de pillage et de détournements de fonds publics pendant les quatorze années et dix mois de la dictature.
 
De l’adolescence à la majorité, Jean-Claude Duvalier a vécu ces différentes périodes de la vie humaine dans un antre ou dans un cachot parental, qui ne lui avait pas permis de s’ouvrir au monde extérieur ni d’en partager les rêves, les sentiments que porte une jeunesse. Il a donc vécu enfermé – comme un petit tigre en cage – grandi enfermé et « gouverné » enfermé. Nous doutons qu’il soit libéré des affres de la jungle, car les bonnes choses et les bonnes manières s’apprennent dès l’enfance et, arrivé à la prime jeunesse, débute le cycle de la fécondation des pensées et des conceptions de la vie. Nous doutons également qu’un intellectuel, digne de ce nom, puisse gommer et accepter les diktats d’un chef débile comme François Duvalier, encore moins se vautrer dans la débilité de sa progéniture.
 
 
L’homme de Néandertal – néandertalien, qui remonte au paléolithique (période au cours de laquelle sont apparues les premières civilisations humaines) – n’avait pas encore appris à sourire ni rire, avant sa disparition d’il y a 200 000 ans. L’espèce humaine, dont l’humanité tire sa raison d’être, est la représentation la plus achevée du règne animal. Il n’empêche qu’au sein d’elle, on retrouve des hommes qui conservent leur animalité d’origine et ne songent pas à s’en débarrasser. Comprenne qui pourra. Pour fermer la présente parenthèse portant brièvement sur le portrait du régime des sauvages qui ont dirigé le pays pendant plus de 28 ans (Duvalier père et fils), nous sommes tenu de faire cette remarque que nous estimons utile dans le cadre d’une analyse objective des évènements qui couvrent la période du règne dictatorial des Duvalier: de septembre 1957, date de la prise du pouvoir, à 1986, date de sa chute. Que voici: le gros lot des fanatiques miliciens n’était pas conscient du rôle diabolique qu’ils avaient joué dans la dictature féroce de l’époque.
 
D’origine sociale très humble – pauvre, analphabète – la composante humaine de la milice provient de la lie du peuple, laquelle compose la majorité écrasante des citoyens qui se voient retenir dans les ténèbres de l’inconscience: sans école, sans instruction, sans éducation et sans loisirs qui conviennent à tout être humain dans la perspective de son émancipation sociale. Ce cruel cordon sanitaire, dans lequel est maintenu et entretenu tout un peuple, est certes un conditionnement séculaire des élites dirigeantes et des classes dominantes locales. Parce que ces dernières auront toujours besoin de ces masses populaires incultes pour servir de marche-pied dans la défense de leurs propres intérêts et de leur propre cause. Dessalines, le premier chef d’État de la nation, fut assassiné pour cela. L’assassinat revêtait une double dimension pour l’essentiel: politique et économique. Nous pensons donc qu’il faut tenir compte de ce phénomène social lié à l’histoire, c’est-à-dire le cordon prophylactique qui a marqué et continue de marquer notre vie de peuple.
 
Vendredi 9 novembre 1979, après quelques deux ou trois minutes de l’intrusion agressive des animaux, créature de l’animal Duvalier, maitre Gourgue, résolument déterminé, d’une voix calme et d’un ton doctoral, lance cette parole célèbre en termes d’avertissement: – « Je demande aux envoyés spéciaux du gouvernement de ne pas s’émouvoir! ». Et les chiens ne se taisent pas, à l’inverse du livre d’Aimé Césaire dont l’adaptation en pièce de théâtre a eu un grand écho à la Martinique et au-delà. Les miliciens-macoutes, arborant le foulard rouge – un symbole des duvaliéristes, signifiant le sang des humains dont ils en abreuvent pendant 28 ans de règne – recommencent à hurler en répétant sans arrêt les mêmes slogans. Ils en profitèrent pour en ajouter un nouveau qu’ils avaient apparemment oublié de scander dans la première scène: VIVE MANMAN SIMONE! LI BANNOU LEKÓL! LI BANNOU DISPANSÈ AK LOPITAL!
 
 
Calvaire des conférenciers et de l’auditoire
 
C’était le comble: un vacarme assourdissant régnait dans la salle. Maître Gourgue n’avait même pas terminé sa phrase, reprise pour la seconde fois, les coups de matraque et de bâton pleuvaient déjà. Débuta alors la séance de bastonnade à n’en plus finir. Baton, makak fè kenken. Gourgue et son épouse furent roués de coups de bâton. Même les chaises métalliques cédaient et furent brisées, pour ainsi dire. Tout le monde en avait reçu pour son compte: des panélistes, des leaders politiques de l’opposition, des personnalités de la société civile, ainsi que des coopérants étrangers qui étaient présents dans l’auditorium. Les vautours, en réalité, ne connaissent pas les principes basiques de la morale humaine, ne font aucune distinction du genre humain et ne s’embarrassent d’aucun scrupule, ni d’éthique. Des bêtes fauves ignorent tout ce qui a rapport avec la vie en société: bienséance, relations humaines, fair-play, entregent, courtoisie, préséance aux femmes par exemple. C’est pourquoi ils matraquaient les hommes avec la même bestialité que les femmes.
 
Ce fut un spectacle horrible et inhumain, dont Duvalier et ses ministres avaient non seulement monté les actes et les scènes, mais aussi en firent une représentation des plus rectilignes de l’homme naturel dans son inhumanité et dans son animalité d’origine. Pour une fois, la police politique du gouvernement s’octroyait un satisfecit: parce qu’elle n’avait pas ordonné de tirer à hauteur d’homme, ce qui aurait entraîné un véritable carnage, une véritable effusion de sang. L’exiguïté/étroitesse de l’espace, à l’époque, en favoriserait pareille action criminelle; en tout cas, c’est-ce que nous avions vu et notre vue nous trompe singulièrement. Mais « le sauve-qui-peut » devenait une denrée rare, pour les raisons que voici: Toutes les portes de sortie étaient occupées par des gorilles, préposés exceptionnellement pour la circonstance.
 
Dehors sur la cour de l’église, des barbelés étaient soigneusement posés. Idem sur les murs. Devant la barrière principale, des factionnaires de la police militaire, gourdins en main, veillaient au grain. La chose fut tellement précieuse que des officiers supérieurs payaient de leur présence, pour s’assurer que le boulot est bien fait, selon les consignes du Palais national. On imagine que, devant une telle étreinte – cordon de sécurité -,passer les lignes de front duvaliériste tiendrait du miracle. On était plutôt en plein dans le vécu du temporel où les barbares s’illustraient à visière levée; pendant qu’ils se dispensaient, sur le factuel, des préceptes relevant des commandements de la morale – le décalogue dont Moïse, après avoir chevauché péniblement le désert pendant 40 jours et nuits, fut porteur, lit-on dans la Bible.
 
Sortir de l’auditorium, c’était se risquer des gifles et des coups de poing de la part des gorilles qui bouchent les sorties; ensuite d’être pris dans les fils de fer barbelés disséminés le long de la surface plane de l’église, avant de se retrouver devant les sentinelles qui frappent yeux bandés. Ce fut une véritable souricière tendue par les malades mentaux duvaliéristes. Il fallait pourtant coûte que coûte vider les lieux, car l’église, souillée au propre et au figuré, avait besoin de fermer ses portes au moins pour une retraite sabbatique. Telle fut la situation dangereuse dans laquelle on se retrouvait, livré à son corps défendant. Bilan: des victimes se dénombraient par dizaines: oeil blessé, tête cassée, bras et pieds fracturés.
 
Certains ont pu se faire soigner et, après un long terme de physiothérapie, se sont rétablis; d’autres se sont vus contraints de vivre sans remède et certains d’entre eux ont fini par être handicapés, ce qui est dû particulièrement au manque chronique du pouvoir d’achat. Car, en dépit des chants de sirène et de propagande malsaine tendant à réhabiliter le duvaliérisme – porté au créneau par des gens « bien pensants » – la misère fut patente sous le régime obscurantiste des Duvalier. Les conditions matérielles d’existence du peuple étaient en-dessous du seuil de la pauvreté et n’avaient rien de comparable avec les pays de la région. Aucun progrès notable, sinon que de charitables soupes organisées traditionnellement lors de la cérémonie des dates fétiches du régime.
 
L’apparition surprise des tonton-macoutes
 
Nous nous transportons à nouveau sur les lieux où la profanation de l’église eut lieu. De là, va se passer le fait ou l’acte particulier dont nous en avions fait l’annonce dans nos pages précédentes. Retenez bien votre souffle et ayez à la portée un bon verre d’eau fraîche dans le cas des cardiaques. « Just in case » pour les anglophones ou anglo-saxons qui nous liront éventuellement. La table de conférence était placée en direction Nord – terminus du marché populaire de la Croix-des-Bossales vers le Nord. L’assistance/l’auditoire, nombreuse, remplissait alors tout l’espace. Sauf du côté du plancher qui était inoccupé pour cette circonstance. Il mesure environ 2 mètres de long sur 1 mètre de large, selon notre estimation à l’époque. Il s’agit d’un espace où se tient traditionnellement le conférencier ou l’orateur dans le cadre des activités culturelles internes de la paroisse. C’est-à-dire l’orateur est assis conventionnellement en face du public ou de l’auditoire, mais il arrive que cette convention n’avait pas été respectée pour la conférence de la Ligue haïtienne des droits humains, le 9 novembre 1979.
 
Nous ignorons pour l’instant si cette faille venait du côté du comité d’organisation de la conférence, ou de l’équipe logistique de l’église elle-même. Il faut reconnaître que maître Gourgue ne contrôlait pas les aspects techniques de la chose; la direction de la paroisse offrait ses bons offices probablement dans le cadre du combat démocratique, pouvons-nous observer à l’époque. Si, dans les conditions contraignantes de l’époque, il était possible de donner cette conférence dans un hôtel de la place, le président de la ligue opterait volontiers pour l’hôtel qui accueillerait beaucoup plus de personnes et l’écho serait également plus grand. Men lè w pa genyen manman ou tete grann, pwovèb lakay. A notre grande stupéfaction, les vagabonds-macoutes apparurent directement sur le plancher en face des conférenciers. Ils passaient par une porte de fortune, semble-t-il, fabriquée pour la circonstance.
 
L’auteur, qui ne voulait pas rater un iota de ce que les panélistes allaient nous entretenir, était debout à un mètre environ devant la table de conférence alors qu’il pouvait s’asseoir confortablement pour avoir été parmi les premiers arrivants. Il en profite pour dire qu’à l’entrée comme à l’intérieur de l’église, il n’y avait aucun signe ni indice qui aurait expliqué la sauvagerie qui allait se déchaîner plus tard tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments logeant la chapelle, les écoles classiques et professionnelles des Salésiens, ainsi que les bureaux du personnel administratif. C’était imprévisible, incompréhensible aussi! Justement, à cause de l’apparition surprise des macoutes, la salle restait encore compacte. Parce que les envoyés spéciaux du gouvernement, pour paraphraser le maître de cérémonie, monsieur Gérard Gourgue, n’avaient pas utilisé les portes principales de l’auditorium où ils se feraient alors remarquer par l’assistance.
 
La salle, bondée de jeunes gens des deux sexes pour la plupart, sera vidée quand les bandits enragés commencèrent la séance des bâtons frappant d’abord les panélistes composés d’érudits pour l’essentiel. Voilà donc notre portrait du vendredi 9 novembre 1979 tel qu’il fut dans la soirée à la paroisse de saint Jean Bosco. « Bay kou blye, pote mak sonje », sagesse de la culture nationale. Mais alors, dans une dissertation historique dont le sujet proposé serait de déterminer les circonstances, les relations causales et les coupables de cette infamie, est-ce que l’étudiant/le postulant devrait se borner seulement à identifier le président Jean-Claude Duvalier, ses ministres et ses macoutes?
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