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Societe : Le modèle américain menacé par la haine de l’Etat

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Par Martin Wolf, éditorialiste économique

La prééminence historique des Etats-Unis est le fruit de leurs atouts exceptionnels. Il s’agit d’une puissance continentale bordée par des océans à l’est et à l’ouest, avec des voisins non menaçants au nord et au sud. Ils disposent, même si elles sont en diminution, d’immenses ressources naturelles.
Ils constituent depuis la fin du XIXe siècle la première économie mondiale, avec la plus forte production par tête. L’économie américaine, fondée sur le marché, a également été la plus innovante depuis au moins la même période.
Les Etats-Unis possèdent les marchés financiers les plus influents du monde, lesquels, il est vrai, ont été à l’origine de la Grande Dépression et de la récente grande récession. Les Etats-Unis émettent depuis la première guerre mondiale la principale devise de réserve.
PLUS GROS MARCHÉS IMPORTATEURS DU MONDE
Ils représentent l’un des plus gros marchés importateurs du monde, surpassé seulement par celui de l’Union européenne. Ils alignent l’armée la plus avancée technologiquement et la plus puissante du monde. Ils abritent plus de grandes universités et d’établissements de recherche que tout autre pays. Leur culturepopulaire est la plus puissante du monde.
Leurs valeurs politiques continuent à fasciner l’imaginaire mondial, même si elles ont fréquemment été contredites dans la pratique. Le système démocratique américain s’est avéré suffisamment légitime et souple pour relever les nombreux défis que l’histoire lui a lancés.
Forts de ces atouts, les Etats-Unis ont réussi à former des alliances solides qui leur ont permis de gagner les guerres, chaudes ou froides, qu’ils ont menées au XXe siècle contre l’Allemagne, le Japon et la Russie. Ils ont façonné l’économie mondiale ouverte qui a vu le jour à l’issue de la seconde guerre mondiale avant de s’étendre au monde entier après l’effondrement de l’empire soviétique.

 

Ils ont proposé au monde les modèles les plus influents de la modernité. Que cela nous plaise ou non, nous vivons tous dans le monde qu’ils ont créé.
Quelle part de ces atouts les Etats-Unis conserveront-ils dans ce nouveau siècle? La menace la plus évidente pèse sur leur position de première économie mondiale. Au taux de change de marché, leur économie reste grosso modo deux fois plus importante que celle de la Chine.
Mais, selon le FMI, elle ne la devance que de 30 % à parité de pouvoir d’achat. Du fait que le produit intérieur brut chinois par tête, à parité de pouvoir d’achat, ne représente encore que 20 % du niveau américain, cela laisse à la Chine une très large marge de rattrapage.
ECONOMIE DE LA CHINE PLUS IMPORTANTE EN 2020
Mais il est vraisemblable que la Chine aura une économie plus importante que celle des Etats-Unis dès le début des années 2020. A la différence, par exemple, du Japon, le nombre joue en faveur de la Chine. Si son PIB par tête atteignait la moitié du niveau américain, son économie serait équivalente à celles des Etats-Unis et de l’Union européenne réunis. Les exportations brutes chinoises de biens marchands sont d’ores et déjà supérieures à celles des Etats-Unis. Les importations chinoises le seront aussi sous peu. Pays relativement pauvre en ressources, la Chine restera probablement un pays plus commerçant, par rapport à son PIB, que les Etats-Unis.
Une question plus controversée est de savoir à quel moment le yuan concurrencera le dollar en tant que devise de réserve. Au vu de la croissance du commerce chinois, on peut penser que cela devrait intervenir bientôt.
Mais il convient de souligner que l’Etat-parti chinois, n’étant pas soumis à la règle du droit et redoutant que les choses lui échappent, ne voudra ni ne pourra mettreen place les marchés ouverts de capitaux dont souhaiteront disposer les étrangers pour détenir leurs actifs les plus sûrs en yuans. Il est probable en tout cas que ce changement de cap demandera non pas quelques années, mais plusieurs décennies.
En principe, les Etats-Unis devraient également conserver leur position dominante dans les sciences et l’innovation commerciale. Mais comme le montre Edward Luce dans son livre Time to Start Thinking : America in the Age of Descent(Atlantic Monthly Press, avril 2012), la combinaison de la xénophobie et de l’hostilité envers la science, les contraintes budgétaires auto-infligées et certaines étranges priorités de dépense risquent de priver les Etats-Unis de leur accès aux talents mondiaux et de leur volonté d’occuper la première place mondiale en matière de recherche et d’innovation : « En 1990, la Californie dépensait deux fois plus pour ses universités que pour ses prisons. Aujourd’hui, elle consacre presque deux fois plus d’argent aux prisons qu’aux universités », écrit-il.
Le fait que les Etats-Unis enregistrent le plus fort taux d’incarcération du monde n’est pas seulement une statistique sociale, c’est aussi un fait économique. Il en va de même du coût et de l’inefficacité du système de santé américain, qui est la principale raison pour laquelle les perspectives budgétaires à long terme sont si mauvaises.
RÉFORME PROFONDE NÉCESSAIRE
Une réforme profonde est donc nécessaire. Or elle est devenue impossible en raison du rôle écrasant que joue désormais l’argent dans la politique, ainsi que de l’intransigeance croissante du Parti républicain. Dans un système fondé sur un gouvernement divisé, le fait de considérer le compromis comme une faiblesse risque de mener à un chaos récurrent.
Par ailleurs, l’économie américaine ne procède plus à la large redistribution des bénéfices qu’elle pratiquait autrefois. Au cours du dernier cycle conjoncturel allant de 2002 à 2007, les 1 % les plus privilégiés ont empoché près des deux tiers de la hausse des revenus, tandis que les 0,1 % qui occupent l’extrême sommet de la pyramide sociale en raflaient plus d’un tiers. Une telle économie à somme nulle ne peut qu’alimenter le mécontentement et le désespoir. Et la crise a considérablement aggravé la colère.
Tout cela aura un impact sur la capacité de l’Amérique à jouer son rôle historique dans le monde. Le resserrement budgétaire qui menace contraindra à une réduction des dépenses militaires. Plus important encore, la crise financière et d’autres erreurs graves ont largement entamé le prestige qu’avaient jusqu’ici les modèles politique, économique et social des Etats-Unis.

 

Quoi qu’il se passe aux Etats-Unis, l’influence sur le monde sera moindre au XXIe siècle qu’elle ne l’était au XXe. Malgré tout, les Etats-Unis pourraient conserver une influence sans égale du fait que ses principaux rivaux sont confrontés à des défis encore plus vastes.
Mais si les Etats-Unis veulent être ce qu’ils peuvent être, ils doivent redécouvrir le pragmatisme qui a longtemps marqué leur pratique politique, notamment dans leur réponse aux défis du XXe siècle. Aucune démocratie ne saurait prospérer si ses citoyens considèrent leur propre gouvernement comme leur plus grand ennemi.
Si les Américains choisissaient de faire échouer leur gouvernement, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes qui, immanquablement, courraient à l’échec ( Traduit de l’anglais par Gilles Berton).
Martin Wolf, éditorialiste économique
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