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Ameriques : Un sommet de chefs d’Etat décisif à Carthagène

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Deux thèmes brûlants et longtemps tabous figuraient au menu du sommet des Amériques des 14 et 15 avril derniers : la réintégration de Cuba dans les instances régionales et la légalisation des drogues. Signe que les Etats-Unis ont vraiment perdu du terrain en Amérique latine.
Cinq jours après une rencontre à la Maison Blanche, la présidente brésilienne Dilma Rousseff et son homologue américain Barack Obama se retrouvent samedi et dimanche en Colombie pour le sommet des Amériques. AFP PHOTO/Brendan SMIALOWSKI

Cinq jours après une rencontre à la Maison Blanche, la présidente brésilienne Dilma Rousseff et son homologue américain Barack Obama se sont retrouves samedi et dimanche en Colombie pour le sommet des Amériques. 
Nombreux sont ceux qui pensent que les sommets présidentiels ne servent à rien. Et, d’une certaine manière, ils ont raison s’ils s’attendent à ce que le monde change du jour au lendemain. Mais, cette fois-ci, il est bien possible que les sceptiques aient tort. Le sommet des Amériques – dont c’est la 6e édition – qui aura lieu les 14 et 15 avril à Carthagène des Indes (Colombie) pourrait se révéler décisif pour le continent. En tout cas, toutes les conditions sont réunies pour que cette réunion ouvre le débat sur deux thèmes historiquement marquants pour la région : la réintégration de Cuba dans le cadre de l’institution et l’ouverture du débat sur la législation des drogues.
La mise à l’écart de Cuba, cinquante-trois ans après la révolution cubaine, n’a plus aucune raison d’être. Les principes qui avaient été invoqués pour isoler La Havane en 1962 – l’année où les Etats-Unis ont rompu les relations diplomatiques et instauré l’embargo – ne se justifient plus. A l’époque, on parlait de défense collective de la démocratie, car le communisme était perçu comme une menace universelle. Par ailleurs, l’idée selon laquelle il était possible d’exporter la révolution grâce à des entraînements militaires, voire à un soutien armé fourni à des pays tiers, n’est plus valable non plus. Personne ne se dit que Raúl Castro pourrait avoir des ambitions militaires hors de ses frontières.
Certains Etats sont si convaincus de l’absurdité de la marginalisation de Cuba que plusieurs dirigeants de pays importants – notamment les présidents brésilien, péruvien et argentin – ont fait savoir à María Angela Holguín, la ministre des Affaires étrangères colombienne, qu’ils ne participeraient à aucun autre sommet où Cuba ne serait pas convié. Autrement dit, celui de Carthagène sera sûrement la dernière réunion des présidents des Amériques où le gouvernement cubain ne sera pas présent. [Le président de l’Equateur, Rafael Correa, a ainsi refusé de se rendre à ce sommet du fait de l’absence de Cuba.]
Concernant la seconde question, c’est peut-être la première fois qu’un sommet débutera avec un consensus, en l’occurrence l’échec de la guerre contre la drogue. Une chose est sûre, tous les chefs d’Etat sont convaincus que les moyens employés ne suffisent plus à neutraliser les dégâts gigantesques du trafic de stupéfiants, et encore moins à asséner le coup de grâce à ce problème.
Jusqu’à récemment, la légalisation des drogues était un thème réservé aux seuls analystes et aux ex-dirigeants politiques. La situation est en train de changer, puisque des présidents en exercice commencent à aborder le sujet. Felipe Calderón, le président du Mexique, a appelé à un « débat national » sur la légalisation, bien qu’il soit depuis revenu sur cette déclaration. Juan Manuel Santos, le président de la Colombie, est même allé beaucoup plus loin en déclarant en novembre 2011 : « J’envisagerais la légalisation du cannabis, ainsi que d’autres substances, si le monde jugeait qu’il s’agissait d’un pas dans la bonne direction. » Ajoutant : « J’irais jusqu’à légaliser la cocaïne si l’on pouvait obtenir un consensus de la communauté internationale. » Quelque temps plus tard, sept pays d’Amérique centrale déclaraient qu’il fallait explorer toutes les solutions possibles, « y compris la réglementation ou un marché de substitution », faisant ainsi écho à Otto Pérez qui, à peine élu président du Guatemala [en novembre 2011], a voulu lancer un débat « ne s’arrêtant pas à la dépénalisation de la drogue » afin de « trouver d’autres moyens de lutter contre le trafic de stupéfiants de façon plus efficace ». Les Etats-Unis se sont également prononcés : « Nous ne sommes pas favorables à la légalisation. En revanche, nous sommes tout à fait disposés à aborder la question », a affirmé un porte-parole de département d’Etat.


Les mots n’ont peut-être l’air de rien, mais, d’un point de vue diplomatique, il est rare d’entendre des discours si audacieux. Le fait que plusieurs présidents en exercice parlent à voix haute de légalisation et que les Etats-Unis se disent prêts à en discuter après que 10 milliards de dollars alloués à la lutte contre la drogue sont partis en fumée constitue un pas de géant. Que peut-on donc espérer du sommet des Amériques à ce sujet ? Ceux qui pensent qu’une déclaration favorable à la dépénalisation sera publiée resteront sur leur faim. Il est plus probable que des bases seront jetées pour la création d’un vrai groupe de travail.
Le sommet de Carthagène a ete tres  intense. C’est pour ainsi dire la première fois que les chefs d’Etat de tout le continent sont d’origines si différentes et représentent des intérêts aussi variés. Seront présents : trois anciens militaires (le Vénézuélien Hugo Chávez, le Péruvien Ollanta Humala, le Guatémaltèque Otto Pérez Molina), trois anciens guérilleros (la Brésilienne Dilma Rousseff, l’Uruguayen José Mujica et le Nicaraguayen Daniel Ortega) et un quatrième qui fut le porte-parole d’une autre guérilla (le Salvadorien Mauricio Funes), un ancien évêque (le Paraguayen Fernando Lugo), un Indien (le Bolivien Evo Morales), deux milliardaires (le Chilien Sebastián Piñera et le Panaméen Ricardo Martinelli), une veuve (l’Argentine Cristina Kirchner) et trois autres présidents qui sont à cheval entre la politique et la technocratie (la Costaricaine Laura Chinchilla, le Dominicain Leonel Fernández et le Mexicain Felipe Calderón). Et, pour compléter le tableau, les deux grandes puissances – celle du Nord et celle du Sud – sont dirigées par des personnalités issues des « minorités » : un Afro-Américain (Barack Obama) et une femme (Dilma Rousseff).
Il est difficile de prévoir si les discussions ou les décisions sauront répondre aux attentes de certains pays. Mais le fait même que Cuba et la législation des drogues soient inscrites à l’ordre du jour est le signe qu’une nouvelle conjoncture est en train de naître : et, dans les deux cas, cela révèle à quel point les Etats-Unis ont perdu du terrain en Amérique latine.
Relancer le débat sur les stupéfiants porte un coup au cœur de la culture prohibitionniste et moralisatrice qui a tant de succès aux Etats-Unis. Le retour éventuel de Cuba, de son côté, permettra peut-être de reconnaître qu’en Amérique latine la « démocratie » prend de nombreuses formes. Aucun doute possible, l’architecture institutionnelle qu’ont imaginée les Etats-Unis pour le continent pendant plus de cinquante ans a bien changé. Et le sommet de Carthagène confirmer une fois pour toutes que l’Amérique latine n’est plus l’arrière-cour des Etats-Unis ou, du moins, que ses dirigeants en ont obtenu les clés.


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